Julie Langlois-Medves

Monsieur le Premier Ministre, Monsieur le Préfet, Monsieur le Maire, cher tous,

J’ai accepté de prendre la parole aujourd’hui, à vrai dire je l’ai souhaité, car j’ai la conviction que mon père, Christian MEDVES, assassiné il y a exactement un an, n’aurait pas aimé que nous soyons recroquevillées dans une tristesse silencieuse.

Du silence, à la maison quand mon père y vivait, il n’y en avait jamais tellement il parlait, de tout, avec nous et parfois même seul, tellement il incarnait la joie de vivre et tellement il criait sans cesse à la vie son amour très communicatif.

Vous n’avez pas idée du vide que crée son absence, vous n’imaginez pas à quel point son silence nous hante au quotidien pour laisser la place à une angoisse permanente et à un traumatisme lancinant qui résultent de la violence et du caractère incompréhensible de son assassinat. 

Longtemps nous n’y avons pas cru, puis la colère est venue.

Bien sûr, pour faire bonne figure, j’essaye d’apaiser ma colère et de transformer ma haine en amour, en amour pour ma famille et en amour pour mes filles que le papy merveilleux qu’il était déjà n’aura pas ou peu connu.

Cela fait un an aujourd’hui que nous avons été happés par l’indicible et il me semble que c’était hier.

Je regarde autour de moi toutes les familles des autres victimes de ce funeste 23 Mars et je sais les points communs effrayants qui nous lient.

Et pour autant, je sais qu’on ne peut pas totalement partager nos douleurs, elles sont tellement personnelles, visibles dans vos yeux, enfouis sous nos peaux et ancrés dans nos cœurs.

Monsieur Jean MAZIERES, dont je sais à quel point il était unanimement apprécié et toujours prêt à rendre service, il était très dynamique et bon vivant. Je pense souvent à vous Martine et à Vincent.

Monsieur Hervé SOSNA, qui était un Trébéen discret, un homme de lettre qui écrivait des poèmes et ne concevait sa vie que dans le cadre de sa ville de Trèbes et des trésors de nature qui l’entourent où il aimait se promener et se recueillir. Monsieur DURAND, je sais votre tristesse.

Le Colonel Arnaud BELTRAME, dont le geste qui lui a couté la vie est bien plus qu’héroïque, il relève du mythe qui magnifie le statut de l’être humain en le rapprochant du divin. Ce geste suscite la plus grande admiration tant il incarne dans le secours porté aux autres le courage, la bravoure, le don de soi jusqu’au sacrifice ultime.

Il est bien normal que ce geste absorbe tout car il dépasse tout même si au final, devant la mort et cette absence qui nous hante, nous partageons la même peine.

Je veux enfin tourner mon regard vers RENATO DA SILVA qui est là et bien là parmi nous même si dans l’esprit du terroriste qui lui a tiré dessus, c’est bien la mort qui était recherchée pour lui comme pour les autres.

J’ai été émue aux larmes d’entendre ta maman dire que tu étais son héros. Le mien de héros, c’était mon père.

Nos pères, nos maris nos frères seront désormais représentés sur cette nouvelle place de la République à Trèbes par des arbres et je tiens à remercier le Maire de Trèbes pour cet hommage rendu aux victimes qui a un sens avec ces érables que nos enfants verront grandir et qui symbolisent la vie, l’indépendance et la liberté, celle pour laquelle nous ne devons jamais cesser de lutter.

Mais l’érable est aussi, dans la mythologie grecque, dédié à Phobos, le Dieu de l’épouvante, fils d’Arès, dieu de la guerre et frère de Deimos, le dieu de frayeur…

Ce n’est surement pas par hasard car en vérité j’ai peur, comme beaucoup d’entre nous, pas pour moi mais pour ma famille, pour l’avenir et pour mes filles en particulier.

Comment ne pas avoir peur lorsqu’on pense qu’avant Trèbes la barbarie avait déjà sévi en France à Toulouse, à Paris, à Nice, à Marseille, à Saint Etienne du Rouvray ou encore plus récemment à Strasbourg.

J’ai à cet instant une pensée pour toutes les familles des victimes mais je ne peux pas m’empêcher aujourd’hui de songer également à ceux qui pourraient encore passer à l’acte, tuer encore des innocents, anéantir des familles entières et infliger de nouvelles blessures à notre pays.

C’est cette peur, amplifiée par le caractère inacceptable et incompréhensible des attentats,qui nourrit la haine des gens et qui aurait pu aussi nourrir la mienne. 

Mais je vous rassure, je ne suis pas née pour vivre dans la haine, mon père m’a élevé dans l’amour etc’est bien ce sentiment que je compte m’acharner à transmettre.

Ils n’auront donc pas le plaisir d’avoir ma haine mais ils n’auront pas mon silence non plus car me taire serait trahir, trahir le souvenir de mon père d’abord mais aussi l’attachement qui est le mien à l’égard de mon pays.

En réalité, Monsieur le Premier Ministre, je crois que j’ai très peur à l’idée que malgré le travail accompli, nous ne parvenions pas à éviter qu’une telle barbarie ne se reproduise car je sais à quel point il est difficile et long de lutter contre les idéologues du chaos qui arment les esprits de ceux qui chargent et utilisent ensuite leurs armes pour semer la terreur.

Je ne fais pas de politique mais je me souviens que lorsque mon père s’est engagé en 2014 pour se mettre à disposition de tous les citoyens de ce village et pour servir l’intérêt général, il avait dit à ses colistiers :

« nous réussirons à mettre en œuvre tous nos projets si nous parvenons à assurer d’abord le bien être et la sécurité des Trébéens »

Il était sincère et déterminé. C’était son crédo et j’aime l’idée de reprendre son flambeau.

Pour terminer, je voudrai me permettre, au-delà de l’hommage que je suis fière de rendre à mon père et à toutes les victimes du 23 Mars qui nous manquent tant, d’émettre un souhait.

Il est très bon, Monsieur le Premier Ministre, dans ces moments de désespérance, de sentir l’humanité des gens qui nous entourent et j’émets le souhait que votre présence aujourd’hui parmi nous, sur cette nouvelle place de la République hautement symbolique, nous rende à l’avenir plus fort et plus unis pour lutter efficacement contre la barbarie.

Je souhaite enfin que la lutte contre le terrorisme continue à s’exercer au-delà des mots et à se concrétiser dans l’action que vous menez pour protéger les citoyens de notre pays, pour protéger tout ceux, femmes et hommes, quelles que soient leurs nationalités et leurs origines, victimes directes ou indirectes ou simplement touchés de près ou de loin par l’horreur des attentats, qui souffrent des conséquences de cette inhumanité et qui vivent comme moi dans l’angoisse de la prochaine fois..

Même si ma voix est fluette aujourd’hui comme celle d’une fille meurtrie qui a perdu son père, je veux que vous sachiez que dans mon esprit, c’est comme si je poussais un cri.

Je vous remercie d’avance pour ce que vous faites et pour ce que vous ferez et pour honorer la mémoire de mon père, je prône la cohésion d’une nation rassemblée et pour qu’il soit fier de moi, au nom de l’amour qu’il m’a donné et que je souhaite transmettre aux miens, je suis prête à faire ma part dans ce combat pour donner un sens à ma vie.

Je vous invite tous à faire de même car c’est dans la concorde et dans l’union que nous vaincrons.

Finalement Monsieur le Premier Ministre, ce que je me permets de vous demander, c’est simplement de m’aider à faire en sorte que mon père, Christian MEDVES, comme toutes les victimes des attentats de Trèbes et d’ailleurs, ne soit pas mort pour rien.