Né en Espagne, comme ses cousins le mourvèdre ou le grenache, le carignan doit son nom à sa ville d’origine, Carinena, située dans la province de Saragosse.
Sans doute amené par les pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle, il a fait élection de domicile notamment en Languedoc et au niveau du Rhône méridional.
Ce cépage méditerranéen n’a d’abord été connu et reconnu que pour son caractère productif et vigoureux, à l’heure ou la quantité importait plus que la qualité.
Dans les années 1980 et 1990, l’apparition de la macération carbonique lui permis de bénéficier d’un nouvel engouement mais sans empêcher son déclin progressif et irrémédiable…
Pourtant, grâce à une poignée de producteurs obstinés et bien inspirés qui ont compris qu’il était un formidable compagnon de cuve pour grenache, syrah et mourvedre, il a été cultivé avec attention et certains ont même décidé de le vinifier pur et seul.
C’est le cas près de chez nous, à Trèbes dans l’Aude, centre géographique et stratégique de notre grande région, où vous pouvez emprunter les grands axes de la route des vins.
Si vous voulez expérimenter par vous même, prenez la route Minervoise direction Beziers avant de bifurquer vers Rustiques puis Badens.
À Badens, au coeur du village, vous ferez sans nul doute, s’il n’est pas dans « les Aspres », la rencontre de Pierre Cros, vigneron, qui se tient dans son antre où reposent, dans de belles fioles qui arborent son nom, nos cépages anciens et « roturiers » qui gouttent merveilleusement bien dont le traditionnel et caractéristique carignan qui est magnifié ici comme nulle part ailleurs notamment dans les Vieilles Vignes et le Bon Papa…
Celui ci a décelé très tôt dans ses vieilles vignes de Carignan autant de bijoux dans chacune de ses grandes baies arrondies, d’un noir bleuté, à la pellicule épaisse.
Pour obtenir l’essentiel de ce cépage, certes sensible aux maladies et difficile à travailler, il a su lui imposer de petits rendements et surtout privilégier les vieux plants qui donnent un vin rouge coloré, puissant, généreux et néanmoins équilibré.
Si vous vous escampez 2 km plus loin jusqu’au Domaine de Mirausse, vous rencontrerez peut-être, sous son chapeau, un autre grand vigneron, Raymond Julien, pour lequel j’ai un « grand penchant ».
Celui ci, qui est pétri de génie, de finesse, de malice et d’humanité, a le privilège de savoir assembler, avec une constance déconcertante chaque année, toutes ses qualités d’homme dans chacun de ses breuvages. J’aurais dit qu’il s’agit d’un enchantement simple mais c’est chez lui l’Azerolle qui est exclusivement composé de Carignan…
Si vous avez opté pour la traversée du vieux village de Trèbes jusqu’à la Calade, vous passez le premier pont du même nom sur l’Orbiel puis celui de la Rode qui enjambe le canal du midi (en croisant les doigts pour que personne n’arrive en face) et en moins de deux minutes, grâce à ce chemin de traverse, vous serez au Domaine de Cantalauze chez un autre vigneron amoureux du Carignan.
Audacieux et passionné, créatif et fougueux, sans cesse à la recherche de quintessence et d’authenticité, c’est Thomas Sananes qui est à la baguette pour composer des vins rares et gourmands, comme « le secret » ou « Syrahcuse » mais également d’autres crus où le Carignan en soliste, tant en rouge qu’en blanc, exprime parmi les plus belles harmonies vigneronnes de notre département.
S’il vous reste encore des ressources au palais, orientez vous au sud-sud-est et passez donc devant chez moi en vous engageant sur la route des Corbières jusqu’à Montlaur/Val-de-Dagne où siègent de valeureux vignerons dont une femme remarquable en la personne de Sophie Guiraudon qui y exploite depuis 25 ans le clos de l’Anhel.
Grâce à elle, à son immense liberté dans les choix techniques et dans le travail fondamental de la terre s’inscrivant dans une agriculture biologique revendiquée et donnant envie, grâce a son sens aigu de la vinification sans filet, les vieilles vignes de Carignan, qui approchent les 120 ans, produisent des vins d’une élégance rare dont « les dimanches » que l’on peut déguster, contrairement à ce que son nom indique, tous les jours de la semaine…

Presque plus fort encore, dans « page blanche », cette grande vigneronne est parvenue à créer un vin blanc typiquement de chez nous en associant le Carignan blanc à son partenaire de route traditionnel, à savoir le grenache gris, qui partagent les fioles avec un « blanc de noir » au jus tiré très tôt à faible maturité d’un bon vieux Cinsault en l’occurrence, pour le millésime 2024…
Bravo à eux ! Et à tous les vignerons et vigneronnes qui s’inscrivent dans l’aventure qui consiste à tenter de conserver et de magnifier nos merveilleux cépages bien de chez nous dont le premier d’entre eux qu’est le Carignan !

Cher Franck,
Le cépage mourvrède prend ses origines dans le Valencien mais aussi du côté de Murcia. Que reste t-il depuis la DAna ? Il est bon de te lire et de voir ta passion intacte pour le Carignan que tes enfants pourront lire un jour. Transmettre, c’est difficile aujourd’hui avec les réseaux sociaux entre autres choses. Tout ce que je connais je le tiens de mes parents, puis de ma curiosité. Avec un atavisme familial maternel d’oenologues, j’apprécie encore plus ce que tu écris aujourd’hui. De faire vivre tes amis viticulteurs, passionnés de Carignan est une ôde à la dégustation. Pour ma part, je ne connais que « le Putain de Moine » vin corpulent, charpenté, ambré, long en bouche et alcoolisé, une dégustation en soi.
D’écrire est bienfaiteur pour la pensée et pour le moral, rien de mieux que de jongler avec les mots, les idées et les phrases. C’est un régal de te lire comme à chaque fois .
Merci pour ce passage romancé sur l’eau de la feuille de vigne ! Trinquons.
J’aimeJ’aime