Le Tatouage provient du mot Tahitien tatau, qui signifiait quelque chose comme « dessin de l’esprit » ou « marque divine », et qui correspondait (et peut être même encore de nos jours en Polynésie), à l’idée d’un « passage » intense et significatif, c’est-à-dire un genre de rituel qui avait du sens dont la solennité était amplifiée par la pratique relativement douloureuse.

Le tatau polynésien, qui est une pratique ancestrale pouvant remonter à plus de 3.000 ans, servait à raconter l’histoire de celui qui porte le tatouage, à exprimer la personnalité du tatoué, sa généalogie et même son rang dans la société.

Il est évident que le symbolisme dans l’acte du tatouage était à l’origine et demeure encore aujourd’hui intime et personnel de sorte que le résultat visuel sur le corps de la personne tatouée ne permet pas forcément aux tiers de comprendre l’histoire du tatoué juste en regardant son tatouage.

Le tatouage n’est, au mieux, que la couverture extérieure du livre qui constitue la personne dans son ensemble.

Mais aujourd’hui, vu l’ampleur prise par le phénomène dans le monde occidental notamment, le tatouage n’a globalement plus la même dimension ni la même signification, ayant abandonné l’idée du vecteur d’identité pour constituer de plus en plus un artifice de mode et de consommation.

En occident en particulier, les tatouages ont longtemps été réservés aux marginaux, aux marins, aux militaires, aux badboys appartenant éventuellement à un gang ou aux bikers mais force est de constater qu’aujourd’hui, chacun laisse libre cours à ses envies en la matière et selon un récent sondage, pour ne parler que des Français, plus de 7 millions d’individus arborent au moins un tatouage, ce qui fait la part belle au commerce du genre avec ses tendances, ses salons et ses festivals qui touchent au premier chef la jeunesse car se tatouer est devenu une façon de prendre possession de son propre corps, de l’apprivoiser, d’en faire ce qu’on veut en alléguant une liberté qui pourrait signifier au contraire, si on y réfléchit, au bénéfice du caractère indélébile de la trace, un genre d’aliénation de soi-même.

Il peut s’agir en réalité de permettre à son corps de renvoyer une image de ce que l’on ressent à un moment donné et de toute évidence, le tatouage servirait, notamment aux plus jeunes, à s’affirmer comme une personne moins banale qu’il n’y paraît.

En effet, ce dessin sur la peau, plus ou moins visible et quelle que soit sa représentation, caractériserait un homme ou une femme qui présenterait une particularité mais qui n’aurait pas les mots, ni la volonté, ni le temps pour l’exprimer et la faire découvrir à autrui.

Le tatouage n’est en effet qu’une image que l’on renvoie qui vient se substituer encore aux échanges directs qui existent de moins en moins de nos jours entre les individus et qui permettaient, dans un temps plus long mais aussi dans une dimension plus profonde, de connaitre et d’apprécier la personnalité de l’autre.

Un palmier tatoué sur le poignet par exemple, même discret, renverra l’image de quelqu’un qui a vécu de beaux moments sous le soleil de quelques îles paradisiaques ou qui rêve d’y aller et des initiales, sur le bras ou ailleurs, seront probablement le reflet d’un lien amoureux ou d’amitié actuel ou passé ou bien simplement le rappel du prénom de ses enfants…

Le déclin culturel serait tel qu’il aurait pu conduire à ce point à l’atrophie du « logos » pour y substituer notamment ce mode d’expression personnel de type cutané ?

Je n’en sais rien mais ce que je sais c’est que nous assistons désormais avec le tatouage au développement d’un phénomène culturel de masse cultivé par les tatoueurs, dont la présence est aussi nombreuse aujourd’hui en ville que les agents immobiliers ou les vendeurs de cigarettes électroniques, lesquels relayent l’idée selon laquelle ce marquage est la meilleure façon de raconter une légende à son sujet au moyen d’une image sur un mollet, d’un signe à l’avant-bras, d’un nom ou d’une citation sur l’épaule qui affirmeraient non seulement qui on est mais également ce que nous projetons de devenir.

Nous vivons actuellement, comme le dirait le psychiatre Serge Tisseron, qui a travaillé notamment sur les secrets de famille et sur le rapport que nous entretenons avec les images et les nouvelles technologies, en « extimité », qui est cette notion qui caractérise le désir de rendre visibles certains éléments qui relevaient autrefois de l’intime.

Même si la pratique actuelle du tatouage présente une copieuse perte de sens par rapport à son origine presque rituélique, Il n’y a finalement aucun mal à cela même si, après quelques années et un changement de cap avéré, au moins un tatoué sur dix regretterait son choix d’image ou le simple fait d’être marqué à vie.

Alors bien sûr il existe la possibilité d’effacer l’ouvrage, ce qui coute très cher et fait bien plus mal que le tatouage lui-même, comme la rose sur le cou de M. POKORA qui reconnaissait lui-même il y a quelques mois à ce sujet avoir fait « tout et n’importe quoi » et appelait les jeunes « à bien réfléchir avant de se faire tatouer car on paye très douloureusement dans sa chair ses regrets « encrés » dans la peau ».

Mais en termes de regrets, il y a bien davantage encore à redouter pour l’avenir car le tatouage est devenu de nos jours un élément strictement esthétique.

Bien aidés par des célébrités issues de tous horizons, tatouées parfois de la tête aux pieds, nous assistons aujourd’hui à l’avènement de la mode du « bijou cutané et coloré » qui fait de ceux qui prennent leur peau pour un flyer autant de produits-vitrines arborant des images qu’ils ne choisissent même plus tellement l’influence extérieure est importante.

Ainsi, les gens qui se tatouent aujourd’hui ont l’impression d’accomplir un geste singulier alors qu’il s’agit en réalité désormais d’un phénomène de contagion sociale d’une grande insipidité.

De surcroit, la mondialisation des échanges et des modes conduit à voir fleurir des traces d’encres épidermiques du type, par exemple, images japonaises colorées pour qui apprécie les mangas ou représentant des symboles tribaux maoris pour qui aime le rugby, ce qui constitue une certaine forme de « holdup » culturel qui est, pour moi, totalement insensé si ce n’est parfaitement ridicule.

L’apparence d’une génération devenant à priori anti-aphrodisiaque pour la génération suivante, je nourris l’espoir que ce phénomène massif puisse être dépassé d’ici une vingtaine d’année avec la prochaine génération et j’appelle dans ce contexte et dès à présent les plus jeunes qui voudraient s’illustrer à ne pas céder à cette mode du marquage cutané définitif qui, loin de conférer une singularité et une personnalité, les marque aujourd’hui du sceau de la banalité.

Mais il ne s’agit pas de juger, juste d’inciter à réfléchir…

Et si la vraie difficulté résidait dans le caractère définitif du tatouage qui apparaît totalement antinomique avec l’élément de mode qu’il est aujourd’hui.

Le propre de la mode est effectivement de changer avec le temps comme pour le maquillage, les coupes de cheveux ou l’habillement et il est grand temps que l’industrie du tatouage propose au grand public des tatouages éphémères qui disparaitraient avec l’envie et pourraient laisser place régulièrement à une nouvelle marque plus en phase avec le vécu et le ressenti du tatoué qui n’aurait plus à regretter ni donc à s’infliger le cas échéant la brulure très douloureuse qui résulte du passage d’un laser sur sa peau.

Et si la vraie singularité était aujourd’hui, au nom de la simple liberté, de ne pas être marqué, ou plutôt de ne l’être qu’intérieurement au bénéfice de sa véritable personnalité qui mérite non pas d’être banalement affirmée par une image gravée sur son corps mais plutôt, à l’image des rituels ancestraux, d’être recherchée et ancrée par chacun de nous à l’intérieur de nous-même.