C’est lorsque la vigne devient rouge de colère aux derniers beaux jours de l’automne que le Tempranillo, venu discrètement d’Espagne jusqu’à chez nous dans les années 70, est vendangé en famille et entre amis juste après le grenache, « père la rondeur », ainsi qu’une pointe de mourvedre dont on dit que pour donner toute sa gourmandise, il doit avoir vu sur la mer ou tout au moins en ressentir, même de loin, l’iode et la salinité portées par les embruns…

Egrainé à la main avec l’aide des enfants puis mis en cuve pour un voyage fermentaire indigène et chaotique de plusieurs semaines avec « piges » quotidiennes, remontages, delestages et autres mots particuliers correspondants à autant d’attentions minutieuses, ce vin naturel est ensuite confié à la garde d’un fut de chêne relativement sobre pour avoir déjà bu les deux récoltes précédentes.

Depuis la campagne 2005, au profond de la terre dans la cave aux bouteilles des Capucins de Trèbes, entre un pressoir séculaire et une echaudeuse aux cuivres encore étincelants qui attendent, insatiables, les prochaines récoltes, reposent les fruits de tant de soins nocturnes dans des flacons petits ou grands, litigieusement millesimées, sobrement et traditionnellement habillés et reconnus sous les noms divers, donnés au gré des moments et des goûts, de Sa Nostre, Pater Noster, l’enchanteur, Pré(cep)tes, Amici, Ténors ou encore le Putain de Moine lorsqu’il semble porter toutes les qualités requises pour devenir, à terme, mon plus savoureux juron…

Lorsque je décoiffe l’une de celle-ci, c’est l’instant de se taire, comme dirait l’autre, et de lever vers la voûte un verre pansu à l’issue resserrée… l’oeil d’abord, le nez ensuite, la bouche enfin !

Seule, dans le règne végétal, la vigne nous rend intelligible ce qu’est la véritable saveur de la terre tant elle ressent et exprime par la grappe tous les secrets du terroir.

C’est un moment privilégié que de realiser à chaque fois que la vigne est « la clef du sol« , ce sésame qui nous ouvre la porte sur la civilisation du vin, celle où les femmes et les hommes cherchent à s’améliorer et à mieux se connaître pour moins se combattre et davantage s’aimer.

Ne cherchez pas mes vins dans le commerce, ils y sont introuvables car Sa Nostre, comme son nom le signifie, n’appartient qu’à mes amis.

Que ceux qui n’ont pas encore eu leur bouteille en signe d’amitié n’en prennent pas ombrage et qu’ils s’empressent plutôt de venir la chercher car, limitant ma « production » à moins de trois hectolitres, j’ai le bonheur d’avoir plus d’amis que de bouteilles…

Mais comme le vin est fait pour presider à un moment de partage, si vous avez la chance d’être un ami de mes amis et que vous trouviez Sa Nostre sur sa table prêt à être dégusté, il suffira alors qu’il soit à votre goût pour que vous soit donné a goûter, à première demande, « le vin de table » le plus confidentiel de toute l’Occitanie.

Franck Alberti