Comme a pu le dire Raymond CHESA lors de l’inauguration du caveau de la cave de Cavanac dans l’Aude, « le vin d’ici est très bon….avec un peu d’eau.. ».
Lui qui avait le sens des mots, celui de la répartie et des boutades, celui des nuances, alliés au talent, à la franchise et à l’intelligence, ne croyait surement pas si bien dire et surtout, allez savoir, il n’imaginait peut être pas que 14 ans plus tard, son propos prendrait un tel sens.
Ironie de l’histoire, c’est encore aujourd’hui à Cavanac que le besoin d’eau se fait sentir et que, sous la houlette du Directeur de la cave, dans l’édition des journaux locaux du 8 Janvier 2018, il était annoncé en substance que l’irrigation de la vigne était un gage de qualité pour le vin.
Il n’en fallait pas plus pour que Carcassonne-agglo s’apprête à s’engager et à venir au secours des viticulteurs qui subissent de plein fouet les évolutions et les aléas climatiques en proposant de porter ou de faciliter la réalisation d’un projet de trois ouvrages hydrauliques sur les communes de Caux-et-Sauzens, Pennautier et Cavanac.
On ne peut que s’en féliciter mais de là à dire que l’irrigation est systématiquement un gage de qualité pour notre vin, il y a là une frontière que je conseillerais de ne pas franchir.
Il n’y a pas là de quoi stresser encore que, pour nous autres humains, il faut distinguer le « bon stress » qui peut nous stimuler du « mauvais stress » qui peut nuire à la santé.
Pour la vigne, c’est pareil.
Le stress hydrique que peut subir la vigne est nécessaire et parfois indispensable pour mener les raisins à une maturation optimale et obtenir ainsi des vins de qualité voire de garde.
Le stress hydrique peut en effet favoriser la concentration des raisins et pour les rouges en particulier, surtout ceux de chez nous, la synthèse des polyphénols, ces molécules qui se forment à partir des sucres sur la peau et les pépins du raisin ainsi que sur la rafle.
Les polyphénols ont une propriété anti-oxydante naturelle qui conduit de nombreux chercheurs à attribuer aux vins des vertus médicinales permettant de lutter contre les maladies cardio-vasculaires.
Mais pour lutter contre ces mêmes maladies, point trop de stress ne faut pour l’homme !
Pour la vigne, c’est pareil.
En effet, une trop grande sécheresse peut aboutir à une réaction de la vigne qui, par instinct de survie, peut cesser d’alimenter les raisins dont la maturité est susceptible de se bloquer de manière irréversible.
C’est là et uniquement là que l’irrigation peut remplacer la bonne pluie qui fait défaut mais cela implique d’utiliser l’irrigation ponctuellement, avec discernement et à bon escient…
Comme cela avait été autorisé en Chateauneuf-du-Pâpe dès 1936, la possibilité donnée aux viticulteurs d’irriguer doit être exceptionnelle uniquement pour permettre à la vigne de franchir un cap difficile.
C’est peut être trop en demander mais même s’il est louable de vouloir se concentrer sur la qualité du raisin, il s’avère dangereux de vouloir trop limiter les fluctuations de volumes surtout si l’on confie les clefs de la pompe à ceux qui pensent que plus il y aura d’eau dans les vignes et plus le vin sera de qualité
A moins qu’il faille lire quantité…
Généraliser l’irrigation, n’est ce pas se laisser soumettre à la tentation de favoriser les gros rendements, les plus faibles degrés et les vins plus dilués ?
Généraliser l’irrigation, n’est ce pas prendre le risque de l’exagération et aboutir ainsi à un « lissage » des vins et des millésimes ?
Généraliser l’irrigation, n’est ce pas faire encourir à nos vins la perte de leur identité pour finalement les dénaturer en les déracinant de notre terroir ?
Oui mais l’avantage que permet l’irrigation, diront certains auxquels je ne m’associe pas, peut même consister à apporter plus de qualité en implantant chez nous de nouveaux cépages, de ces cépages plantés sur des sites où ils ne pousseraient jamais sans eau rajoutée. Est-ce bien raisonnable ?
Alors bien sûr qu’il faut de l’eau et même faciliter les process pour y accéder mais il n’est pas raisonnable d’avoir comme objectif, quand on a ici autant d’histoires de faits locales à raconter, de vouloir ressembler à ce point aux autres.
Il ne faudrait donc pas oublier, dans la bataille de l’eau qu’il nous faut mener et gagner, que pour produire un vin de qualité, conforme aux spécificités de notre terroir, la vigne doit être non seulement bien adaptée à son environnement mais également bien travaillée.
En ce cas, sauf de façon exceptionnelle pour permettre à la vigne de passer un cap difficile, l’irrigation doit être considérée comme inutile.
Mais tout ceci est question d’équilibre et de discernement et il me semble, quoi qu’on en dise, qu’il convient quand même, en cette matière comme dans beaucoup d’autres, de mettre un peu d’eau dans son vin.
Franck Alberti