Parce qu’il faut rendre à César ce qui appartient à César, il faut rappeler d’emblée que Bayonne est la plus vieille place taurine de France et qu’elle doit probablement ce titre à une femme, Eugénie de Guzman plus connue sous le nom de Montijo, comtesse de Teba, dont on sait qu’elle a assisté, à Saint Esprit Les Bayonne dès 1852, à une corrida « corsée à l’espagnole » par la mise à mort du taureau.

Elle était accompagnée par Théophile GAUTIER et la Presse Française qui ne se privèrent pas d’en faire l’écho étant précisé que durant le mois d’aout 1853, quelques mois après son mariage avec napoléon III, celle-ci assistait encore à des corridas dans la même ville accompagnée de son empereur de mari.

Quelques années plus tard, ont eu lieu d’abord à Périgueux, dans des arènes inaugurées le 2 Avril 1860, une série de corridas qui ont connu un grand succès au point que l’impresario originaire de Cadix, Don Pablo Mesa, se rendit ensuite avec son matériel et son personnel à Béziers puis à Toulouse et Carcassonne pour organiser des corridas.

Des courses furent données par intermittence et avec un succès mitigé à Carcassonne durant une vingtaine d’années mais visiblement pour la plus grande joie des aficionados de plus en plus nombreux et engagés puisque ces derniers soumettaient une pétition au Conseil Municipal de la ville qui finissait par décider, le 22 Juin 1885, de la construction d’une arène sur le terrain qui servit plus tard d’assiette aux abattoirs municipaux.

Le toréro Français « Le Pouly » qui jouissait à l’époque d’une grande réputation y remporta avec un brio extraordinaire la médaille d’or lors du spectacle donné le 14 juillet 1886 et la plazza fonctionna par la suite, avec des fortunes diverses, jusqu’en 1898, date à laquelle furent édifiées de nouvelles arènes sur l’emplacement de l’ancien vélodrome au lieu dit « de la justice ».

Ces nouvelles arènes furent inaugurées le 21 Mai 1899 par une course provençale suivie de deux autres courses les 14 et 15 Juin puis de trois corridas espagnoles en Juillet et encore trois de plus en Aout de la même année.

Entre temps, le Cercle Taurin Carcassonnais qui venait de se former déposait le 22 Juillet ses statuts qui furent approuvés le 16 Septembre 1899 et commençait alors partout en France et surtout dans le midi, y compris à Carcassonne, le plein développement de l’aficion, le Cercle Taurin Carcassonnais, quant à lui, en relation étroite avec les autres clubs de la région, fonctionna très activement jusqu’en 1914.

Il fallu ensuite attendre 1925 pour que les courses de taureaux commencent à se relever en premier lieu dans les grandes villes disposant d’arènes Romaines et malgré le fait que celles de Carcassonne avaient été détruites par un incendie, le Cercle taurin demeurait très actif pour organiser durant cette période des déplacements à Nimes, Béziers et Arles et pour entretenir localement la flamme de la tradition notamment au café Glacier, Boulevard Roumens, devant lequel une corrida fut organisée place d’Armes.

La guerre d’Espagne puis la deuxième guerre mondiale plongeaient dans le sommeil toute velléité d’organisation de corridas à Carcassonne et ce, jusqu’en 1951 où fut organisée une course qui n’eut finalement pas lieu pour des raisons financières.

Une nouvelle fois pressé par la population, dans sa séance 27 février 1952, le Conseil Municipal de Carcassonne constatait que la tradition taurine avait été ininterrompue dans la Cité sauf les cas de force majeure provoqués d’une part par les guerres de 1914-1918 et 1939-1945 et d’autre part par l’incendie des arènes aménagées au lieu dit « La Justice ».

Le même jour était décidé la cession pour une durée de 18 ans d’un terrain communal situé à « Patte d’Oie », à l’extrémité sud des allées d’Iéna, pour l’aménagement d’arènes fixes susceptibles de recevoir plus de 10.000 personnes à charge pour l’entrepreneur de spectacle, en l’occurrence Monsieur Etienne Pouly, de verser une redevance de 1,50 % sur les recettes des spectacles taurins et de 4 % sur tous les autres spectacles.

C’est ainsi que le 8 Juin 1952, dans les arènes édifiées avec le bois récupéré des arènes de Canet, s’est déroulée à Carcassonne une corrida de la ganadéria d’infante da Camara pour les figures de l’époque Pepe Dominguin, Luis Miguel Dominguin et Antonio Ordonez.

En ce temps là, vivaient et faisaient encore vivre le Cercle Taurin Carcassonnais douze membres qui étaient à l’origine de la création du club en 1899 et on pouvait déjà y voir à l’œuvre un secrétaire très actif en la personne de Guy FESQUET pour accueillir pendant quelques années dans des arènes pleines à craquer les grandes vedettes de la tauromachie à pied ou à cheval de l’époque dont, entre autres : Ortéga, Aparicio, les frères Péralta, Conchita Cintron, Ordonez et Luis Miguel Dominguin…

Le premier congrès national de la fédération des sociétés taurines de France d’après guerre eut lieu à Carcassonne du 29 Mai au 1er Juin 1953.

Malgré le grand succès rencontré par les corridas, le promoteur de l’époque fit savoir dès 1954 que les arènes allaient quitter Carcassonne et que seul le versement d’une somme de 7.000.000 de francs était susceptible d’empêcher le démontage et le départ des arènes sous d’autres cieux.

Monsieur Jules FIL, Maire de l’époque, devait considérer la somme réclamée comme excessive au point qu’il n’informa même pas le Conseil Municipal de cette offre au grand dam de l’opposition placée devant le fait accompli et notamment de Monsieur Itart-Longueville qui ne manqua pas de le lui reprocher comme en témoignent les articles de presse publiés autour de Noel 1954.

Monsieur Jules Fil tenta d’amortir le choc avec la promesse de bâtir des arènes « en dur » mais ce projet ne fut jamais suivi d’effet.

Le Cercle Taurin Carcassonnais présidé par Monsieur SIGE, (avec Monsieur VERDIER, pharmacien à Trèbes, comme vice président et Monsieur BOUDENNE comme Trésorier, Monsieur FESQUET comme secrétaire, Monsieur SEIGNE, directeur des travaux de la ville), a continué très activement à se livrer au développement de la culture taurine au sein du chef lieu Audois même en l’absence d’arène mais c’est curieusement sur la commune de Trèbes, au mois de Juillet 1960, qu’a eu lieu une corrida qui a connu « un beau succès d’affluence » dans des arènes démontables installées au beau milieu de ce qui constitue aujourd’hui le quartier de l’Aiguille.

Des Clubs taurins s’étaient créés dans tout le Département et fonctionnaient à Espéraza (Mr SENTY Président), à Quillan (Mr SIGNOLLES), à Lézignan (Mr LARROUDE), à Ouveillan (Docteur MARY), à Narbonne (Docteur BERTRAND), à CUXAC D’AUDE (Mr CUFRECHOU), à CUXAC CABARDES (Mr BEAUX), à Limoux (Mr TARBOURIECH) et quelques années plus tard, c’est à Quillan, notamment le 17 Aout 1966 et devant 1500 spectateurs, que s’est déroulée une corrida qui permit à Manolo CATATALLU de confirmer ses valeurs de toréro.

En 1981 à Fanjeaux se déroula une corrida avec torero à cheval et toréra à pied puis en 1992, à Lézignan, une corrida fut organisée mais en raison d’une arène portative aux qualités portantes douteuses, le Préfet a cru devoir annuler la manifestation pour des raisons alléguées de sécurité.

Durant les années 90, même sans arène à disposition, le Cercle taurin demeurait très actif, voyageant vers les places voisines et publiant très régulièrement «a las Cinco de la tarde» pour la grande joie des aficionados locaux.

Durant cette période, furent étonnamment construites à Trèbes, sur l’initiative du Maire Claude BANIS, les fameuses arènes en dur que toute l’aficion départementale attendait depuis des années mais celles-ci n’auront eu pendant longtemps, attisant la polémique parce que c’est à Trèbes et nulle part ailleurs, que le privilège d’être les seules arènes au Monde à n’avoir jamais vu un taureau.

Au début des années 2000, toujours sans arène mais avec un enthousiasme renouvelé et débordant, le Cercle Taurin Carcassonnais, réunissant au Conseil d’Administration des passionnés comme Christophe DURAND, dit «caillasse», ayant précédé Bernard CASTAN à la présidence, Marc TEULIE, Serge BERARD, André BREFFEIL, Marc POZZA, les regrettés Daniel DUMAS et Alain CLINARD, Jean Alain JOURNET, Jean Michel BOULEGUE, Martine AUBERT et Geneviève PEYRE notamment, investissait la Chapelle de la rue Barbès pour en faire son siège et se laissait aller à l’idée d’organiser des courses dans le cadre d’une féria, soutenu en cela par le maire de Carcassonne, grand aficionado devant l’éternel, en la personne de Raymond CHESA qui, comme Jules FIL cinquante ans plus tôt, ambitionnait pour sa ville de construire celle qui était devenue l’arlésienne : la fameuse arène en dur.

C’est ainsi que fort de son enthousiasme et devançant même la volonté Municipale, après quelques gentilles beceradas, le CTC annonçait, le 20 Novembre 2001, l’organisation future d’une novillada avec mise à mort prévue pour le 1er Septembre 2002.

Comme on pouvait s’y attendre, des associations anti-corridas Nîmoises et Strasbourgeoises ont engagé des procédures destinées à interdire l’organisation des spectacles comprenant la mise à mort de taureaux.

S’appuyant sur la jurisprudence reconnaissant notamment « avoir repéré une tradition taurine dans le midi de la France entre le pays d’Arles et le pays Basque, entre garrigues et méditerranée, entre Pyrénées et Garonne, en Provence, en Languedoc, Catalogne, Landes et Pays Basque », et sur la base des nombreuses pièces produites (grace à l’immense travail du président) pour mettre en évidence que la tradition taurine n’avait jamais été interrompue spécialement dans le Carcassonnais, le Cercle Taurin Local obtint gain de cause et organisa comme prévu, le 1er Septembre 2002 dans une arène pleine à craquer sur laquelle Bernard CASTAN n’était pas peu fier d’afficher « no hay billettes », une corrida de novillos de la ganadéria d’ Enrique Ponce qui permit à Juan de Dios de la Rosa, à Gino Torres et au Nimois Camille Juan de fouler à nouveau en habit de lumière le sable taurin de Carcassonne.

C’était le début de la semaine espagnole chère à Christine PLANCHENAULT, des corridas et de la féria qui devaient désormais accompagner et égayer chaque année le retour de vacances des Carcassonnais sur la dernière semaine du mois d’Aout.

Carcassonne avait (re)trouvé sa fête et l’espace des anciens abattoirs, sur lequel nous devions voir à terme s’édifier les arènes en dur attendues depuis 150 ans, était baptisé « espace Jean Cau », du nom de celui qui reçu le prix Goncourt en 1961, natif de Bram et grand défenseur des corridas.

Mais les hommes, dans leur inébranlable capacité à se disputer, sont les meilleurs ennemis de ce qui devrait pourtant les réunir.

L’enthousiasme était tel que les dirigeants du CTC, qui avait fêté ses 100 ans d’existence, ont cru pouvoir se payer le luxe d’une discorde au sujet de la programmation des spectacles, devant être nettement « toristes », selon certains, ou plutôt « toréristes » selon d’autres tout autant passionnés.

Les dissensions ont conduit à la scission puis à la création d’un second Club Taurin dénommé Carcassonne Toros devenu Carcassonne Aficion présidé par Marc TEULIE et aujourd’hui par Bertrand Baldy et auquel la commission taurine près la ville de Carcassonne présidée par Jean Michel Boulegue confiait l’organisation des spectacles taurins jusqu’à l’élection, comme maire de Carcassonne en 2009, de Jean Claude PEREZ dont la politique au sujet des corridas, du type « faites ce que vous voulez mais sans un rond public », mettait en danger les velléités d’organisation de Carcassonne Toros qui était de surcroit représenté par des opposants politiques notoires au nouveau pouvoir en place.

Comme un malheur n’arrive jamais seul, c’est aussi en 2009 que Christian BAILE, aguazil de la place Carcassonnaise, fut chargé jusque dans le « callejon de la placita » et très grièvement blessé par un toro de Miura.

Au mois d’Avril 2010, la commission Taurine présidée par Michel Molherat procédait à un vote pour l’attribution de l’organisation des spectacles taurins pour les années 2010, 2011 et 2012 et c’est l’UDAC, Union Des Aficionados Carcassonnais, qui fut choisie pour relever le défi et organiser, avec à sa tête quelques bénévoles locaux accompagnés de professionnels de la tauromachie et de la communication en l’occurrence Robert MARGE et Didier LACROIX, grâce auxquels les aficionados Carcassonnais ont pu assister, dès 2010 dans une arène à nouveau bondée, à une corrida formelle de Torrestrella qui a vu triompher Juan José PADILLA, Juan BAUTISTA et Medhi SAVALLI auxquels succédèrent en 2011 avec le même Médhi SAVALLI, avec le même succès et sur le même élevage Antonio BARRERA et David MORA

L’UDAC réussissait à remplir les arènes mais échouait dans sa volonté de réunifier l’Aficion Carcassonnaise qui ne pouvait pourtant pas se payer le luxe de l’éparpillement et ce sont encore de nouvelles dissensions entre les hommes, pourtant heureux de travailler ensemble, qui ont conduit les corridas à ne pas avoir lieu en 2012, ce qui a permis à l’association Carcassonne Toros devenue Carcassonne Aficion, plus enthousiaste que jamais car le malheur des uns fait toujours le bonheur des autres, de reprendre la main de 2013 à 2018 avec la présentation systématique de beaux spécimens taurins dont ceux de l’illustre élevage andalou de MIURA.

En 2018, c’est encore probablement un problème d’hommes mais également un problème d’arène, récemment achetée mais visiblement sans la notice de montage, qui conduisit la commission de sécurité à ne pas autoriser les corridas qui n’eurent donc pas lieu pour le plus grand plaisir des anti-corridas haineux et narquois auxquels il est bien difficile de faire entendre que la haine est absente d’une corrida où ne règnent que la peur et l’amour comme se plaisait à le rappeler Jean Cocteau.

Même si nous sommes manifestement en période de creu, il en faudra surement davantage pour éteindre l’enthousiasme des Carcassonnais pour la chose taurine qui finira bien par disparaitre pour se figer dans l’ancien monde, comme beaucoup d’autres choses si difficiles à transmettre car de nos jours, à trop vouloir rester jeunes, les parents en oublient de transmettre leur passé à la jeunesse qui se demandera nécessairement bientôt quelles émotions on peut aller chercher dans une arène, oubliant peu à peu que celle que l’on ressent en assistant à une corrida n’existe nulle part ailleurs car, comme l’explique si intelligemment Francis WOLFF dans son ouvrage intitulé « philosophie de la corrida », elle n’est pas seulement l’émotion physique de la peur apaisée, ni l’émotion esthétique de la beauté contemplée mais justement la rencontre si singulière des deux.

Mais cette fin programmée ne résultera surement pas de l’action des antis-corridas dont les idées, parfois respectables, se trouvent dénaturées et discréditées par leur radicalité qui mène les opposants, dans leur combat pour la défense animale, à détester lamentablement le genre humain.

J’ai toujours pensé que la fin viendrait de l’intérieur.

De l’intérieur des arènes si le public n’y vient plus et le fait d’essayer d’interdire les corridas aux moins de 16 ans est une façon insidieuse et redoutable de rompre la chaîne de la transmission et d’aboutir à ce jour sombre où les plus jeunes, n’ayant pas été initiés, se demanderont ce que signifie une corrida et quel est l’intérêt de regarder ce spectacle qui sera devenu insensé.

De l’intérieur peut signifier aussi que ce sont ceux qui ont œuvré pour perpétrer la chose traditionnelle taurine qui, par perte d’enthousiasme ou dissensions internes, casseront eux mêmes ce qu’ils ont tant aimé.

À Carcassonne, le premier pas vers le début de la fin pourrait être la reprise par la mairie de La Chapelle Saint Francois-Xavier située à deux pas de la place Carnot qui constituait depuis plus de vingt ans le siège du Cercle Taurin historique où sont entreposés aussi, et surtout, tous les souvenirs et l’âme de plus d’un siècle de tauromachie locale.

Entendre dire qu’il s’agit de reprendre ce lieu culte pour en faire un lieu culturel est nier que le fait tauromachique est une culture, ce qui est déjà le début de la fin qui vient de l’intérieur et plus spécialement de la défaillance des clubs taurins qui n’ont pas voulu comprendre qu’ils étaient condamnés à s’unir autour de leur passion pour la chose taurine sous peine de la voir filer entre leur doigts.

C’était pourtant une très belle histoire que celle de la tauromachie, certes faite de hauts et de bas mais faisant partie qu’on le veuille ou non de l’histoire de Carcassonne qui a la chance d’avoir su, depuis 160 ans, célébrer la Fiesta Brava à laquelle je souhaite encore, tant qu’il y aura des arènes, des taureaux et des hommes, la plus longue et belle vie possible.

Franck Alberti