Le jeudi 22 Mars 2018 en rentrant de Paris, en voiture pour éviter d’être pris au piège tendu par les divers mouvements sociaux, je me suis surpris à râler à plusieurs reprises sur le chemin pour des choses futiles : trop de travaux sur l’autoroute, trop de radars, trop de chauffards…

Et puis en arrivant à Carcassonne, avant les derniers kilomètres et la descente sur Trèbes, fatigué mais heureux à l’idée de prendre dans la tronche à la nuit tombée notre Cité illuminée, je m’étonnais et râlais encore en constatant qu’elle se trouvait dans le noir…

Je ne savais pas à cet instant que notre Cité de Carcassonne, qui a tout vu depuis près de 1000 ans du haut de sa colline située au centre de cette route du peuple qui relie la splendide Toulouse à là lumineuse Montpellier, anticipait par ce deuil le drame du lendemain.

C’est sur la colline d’en face, à Grazailles, endroit idéal pour contempler le feu d’artifices du 14 Juillet, qu’est venu au monde Christian 50 ans plus tôt, quelques jours avant moi, le 11 Mars, dans l’insouciance du printemps 1968.

Je ne peux pas m’empêcher de penser au quartier d’où nous sommes issus et où toutes les communautés ont su, à l’époque et bien avant que cela devienne un concept, réellement vivre ensemble.

C’est ainsi que des individus, Français ou pas, d’origines Italiennes, Algériennes, Espagnoles, Portugaises, Marocaines et autres se trouvaient là, dans ce quartier, à cohabiter en partageant les bons et les mauvais moments et j’ai une pensée émue en y repensant pour l’abbé Mazières, curé de la paroisse du quartier qui, lorsqu’il devinait quelques tensions entre communautés, organisait un match de football qu’il arbitrait suivi d’une tournée générale de chocolat chaud dans le but de nous réconcilier.

C’est plus tard vers Trèbes, comme moi, que Christian a dirigé et construit sa vie en bâtissant avec Nathalie une famille qui constituait sa raison de vivre et en plantant ici et là des graines d’amitiés qu’il a cultivées comme le plus merveilleux des jardiniers, arrosant ses plants d’une joie de vivre permanente et utilisant en guise de soleil une loyauté et une fidélité à toute épreuve….

En 2014, il était presque l’heure de se mettre en marche pour servir les Trébéens dans le cadre des élections municipales et Christian, que j’ai sollicité, n’a pas hésité une seconde pour s’engager avec moi dans l’aventure.

C’est aussi grâce à ses exceptionnelles qualités qui ont trouvé écho chez d’autres colistiers que cette campagne s’est transformée en une somptueuse aventure humaine faite de rires, de pleurs et d’amitiés profondes qui ont laissé de belles traces dans l’esprit de tous ceux qui l’ont vécue et qui pleurent aujourd’hui avec moi notre pote Christian qui, ironie du sort, m’avait confié en s’engageant « que la première chose à réussir pour que tous nos autres projets se réalisent consistait à assurer la sécurité et le bien être des Trébéens« .

Cinquante ans ont passé et sans savoir exactement quels maillons ont cassé pour en arriver là, ce vendredi matin, 23 Mars 2018, Christian s’est levé avant tout le monde et a quitté sa maison et les siens pour aller travailler… il ne rentrera plus jamais.

A 11 heures du matin, il venait de terminer sa journée lorsqu’il a croisé la route d’un minable délinquant qui a cru qu’il suffisait de se décréter « soldat de Daesh » pour avoir le droit d’aller baiser au paradis après avoir détruit la vie des autres.

Ce barbare dont il faut taire le nom pour ne pas lui donner une notoriété qu’il ne mérite pas, a tué notre ami Christian parce que celui ci était un rayon de soleil et que ce minable meurtrier n’aspirait qu’aux ténèbres. C’est Platon qui disait à juste titre que l’on peut pardonner à l’enfant qui a peur de l’obscurité mais que la vraie tragédie de la vie, c’est quand les hommes ont peur de la lumière.

La lumière, c’est faire le choix de donner sa vie pour en sauver d’autres comme l’a fait avec un courage inouïe le lieutenant-colonel Arnaud Beltrame qui s’est proposé à l’obscurité dans laquelle se fourvoie l’esprit du poltron qui a choisi de détruire la vie des autres au nom d’une religion dont il n’a jamais su qu’à priori, elle n’enseignait pas le mal.

C’est par ce choix que ce héros a gagné, au prix de sa vie, le combat de la lumière qui justifie l’hommage national qui lui a été rendu et c’est aussi par ce choix qu’un peuple vit ou meurt en se rassemblant autour des valeurs qui le constituent. Il est nécessaire aujourd’hui de crier fort et de mener haut la révolte de la lumière, non seulement pour préserver nos valeurs et notre civilisation mais également pour que tous ceux qui se réjouissent des conséquences de cet obscurantisme sachent qu’ils sont déjà morts.

Notre cri sera d’autant plus entendu si nous sommes nombreux à le pousser et il faut pour cela que tous ceux qui souffrent des blessures infligées à notre pays, quelles que soient leurs nationalités et leurs origines, allument leurs flambeaux pour dénoncer l’inhumanité de ceux qui les infligent.

Les mots sont dérisoires devant un tel effroi et une telle tristesse mais ils sont nécessaires et il peut être important de les prononcer ou de les écrire à l’attention des victimes, de leur famille, de ceux qui souffrent des conséquences d’une telle barbarie ou de ceux qui, comme moi, restent figés dans l’incompréhension.

Ce besoin d’exprimer ses sentiments est humain et même si les réseaux sociaux nous donnent l’impression de partager les souffrances des victimes et de leur famille, en fait, on ne les partage pas, on tente juste de les comprendre mais on n’y parvient pas car ces souffrances sont uniques, juste visibles dans les yeux de chacun, enfouies sous leur peau, présentes à jamais dans leur cœur….

Alors « Amici » de Christian qui était un mec pétri d’humanité et également un héros pour les siens auxquels il manque tant, soyons dignes de l’amitié qu’il nous a donnée et rallumons nos flambeaux, en ce jour anniversaire, puis dédions lui pour tous les autres jours une cuvée lumineuse de ce vin qu’il aimait tant pour qu’à chaque ouverture d’une fiole reste un peu son âme ici…

Ciao vecchio amico… non ti dementichiamo

Franck Alberti